2008, année présidentielle dans les trois pays du Caucase du Sud... La Géorgie a ouvert le bal le 5 janvier, l'Arménie lui emboîte le pas le 19 février et l'Azerbaïdjan clôt les festivités le 15 octobre. Entre espoirs et craintes, le Caucase du Sud a-t-il mué en dix-sept ans d’indépendance ? Espoirs, ces trois présidentielles sont des opportunités majeures de changement. Craintes, les trois régimes semblent si bien implantés qu’il ne se passera rien…

L'opposition est-elle encore un concept creux ?
Dans ces Etats en transition post-soviétique, ces rendez-vous sont des moments majeurs entre la société et le pouvoir, le moment de faire son examen de conscience, de comparer les résultats économiques et d'évaluer ce qui marche et ce qui ne marche pas. C'est le rendez-vous que majorité et opposition attendent. En Géorgie, la victoire étriquée de Mikheïl Saakachvili (et pas Mikhaïl, car trop russe) ne passe pas auprès de l'opposition conduite par Levan Gachechalidze. Le mouvement, quoique hétérogène, ne faiblit pas et tout porte à croire qu'il se radicalisera dans les jours qui viennent avec une manifestation attendue samedi dans les rues de Tbilissi… A quelques mois des législatives.
En Arménie, la majorité sortie des urnes des législatives de 2007 veut confirmer son maintien au pouvoir avec l'élection attendue de Serge Sarkissian à la tête du pays. Il s'oppose à 8 candidats, dont l'ancien président, Levon Ter Petrossian. Là aussi, l'opposition n'est pas très structurée et cette désunion devrait être profitable à l'actuel premier ministre.
En Azerbaïdjan, la dynastie Aliev en place depuis 1993 devrait conforter sa place lors du prochain scrutin. Ilham, fil d’Heidar, devrait être réélu tranquillement dans un pays plus ou moins verrouillé. L'opposition n'avait pas réussi en 2005 à le priver d'une majorité au Parlement, lui-même totalement aux mains d'un régime qui multiplie fraudes et arrestations d'opposants.
Dans les trois pays, le scénario d’une continuité des régimes autoritaire ou semi autoritaire avec une opposition éclatée sans recours ni moyens s’écrit inexorablement à l'abri des critiques internationales pour deux raisons principales.
La fin des régimes ultra présidentiels ?
La transition démocratique s'est caractérisée par la mise en place de régimes en rupture avec les pratiques communistes. La sortie de l'URSS les obligeait à agir rapidement, loin de la lourdeur des Soviets. Il fallait rompre avec l'immobilisme et les lenteurs, d'autant que les guerres du Haut-Karabakh, d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, exerçaient de fortes pressions sur les populations au milieu des théâtres d'opérations. Aujourd'hui, les armes se sont tues, laissant place à des conflits gelés en raison de l'absence de paix durable. Le silence tient sous le seul effet de cessez-le-feu fragiles mais réels. Personne n'a envie de rallumer la mèche et transformer le Caucase du Sud en nouvelle poudrière. Mais l'avantage des conflits gelés c'est qu'ils réorientent l'attention des forces politiques vers les affaires institutionnelles ou sociales et sur ce plan, Tbilissi, Erevan et Bakou ont compris qu'il fallait tôt ou tard renoncer aux pleins pouvoirs issus de la chute de l'URSS. L'heure n'est plus à l'urgence, mais au développement durable. Aux leaders de trouver le dosage entre majorité et opposition dans un système plus équilibré qui n'empêche pas le gouvernement d'agir et l'opposition de peser sur les différents processus (politique, économique, etc). L'Arménie a ouvert la voie en 2005 avec une réforme constitutionnelle qui réduit les pouvoirs du président et fait du premier ministre l'homme fort du régime. En Géorgie, réviser à la baisse la barre de la représentation nationale de 7 % à 5 % des suffrages est un premier signe. Insuffisant, certes, mais significatif d’un changement de perception dans ce pays aux partis à un homme. En Azerbaïdjan, c'est la confusion totale. L'opposition est quasiment éteinte et en absence d'alternative, nombreux sont les experts qui constatent la montée de l'islamisme radical notamment dans l’armée dans cet Etat riche en hydrocarbures et proche des Etats-Unis. Mais difficile encore de savoir si le scrutin du 15 octobre constitue un risque pour le clan Aliev ?
Ligne de partage entre la Russie et les Etats-Unis
Il y a cependant fort à parier que les trois régimes se maintiendront au pouvoir pendant longtemps pour la simple et bonne raison que le Caucase du Sud, objet de fortes rivalités géoéconomiques entre Russes et Américains, doit absolument renforcer sa stabilité. Au nom de cette règle majeure pour la coopération et le développement des pays de la mer Noire, Russes, Américains, mais aussi Européens et Turcs s'entendent pour maintenir le statu quo régional et conforter les équipes en place dans ces trois pays de peur de réveiller les Dieux de la guerre. La Géorgie peut aussi compter sur sa proximité géographique avec l’UE, sur sa « révolution des roses » et son président triomphant. L’Arménie se sent forte de sa diaspora active en Occident, de son alliance avec la Russie et attend beaucoup de la récente découverte de deux gisements de gaz sur son territoire. L’Azerbaïdjan enregistre depuis deux ans une croissance entre 22 et 25%, grâce la flambée des prix du pétrole et du gaz et compte sur un budget défense de 871 millions de dollars en 2007 et plus d’un milliard en 2008. Au-delà des déclarations d’intentions des organisations européennes ou internationales, les trois Etats se sentent en fait dans l’immunité face aux critiques de la part de la communauté internationale. Et les trois chefs d'Etat en profitent ! Ils savent qu'Américains et Européens doivent ménager leurs relations avec eux par crainte d'un retour de plus en plus visible de l'influence russe dans la région.