vendredi 28 mars 2008

Bientôt des sociétés militaires privées en France ?

Normalement, c’est interdit. La loi n° 2003-340 du 14 avril 2003 réprime la création de sociétés de mercenaires d’un type nouveau, style les « contractors » de Blackwater, Dyncorp ou Halliburton qui agissent sur plusieurs théâtres d’opérations, dont l’Irak, l’Afghanistan ou la Colombie.

Mais, en 2007, les arrêtés du 19 juillet, parus dans le Journal Officiel, du 8 août, peuvent changer la donne. Ils reconnaissent aux militaires et fonctionnaires du ministère de la défense la qualification et l’aptitude professionnelles à exercer dans des agences de recherches privées, de surveillance et de gardiennage, de transports de fonds et de protection physique des personnes. On n’en est pas encore aux mercenaires. Mais on en prend peut-être le chemin. C’est un peu rapide comme raccourci mais quand on lit les arrêtés de plus près, on y lit :

Remplissent les conditions pour pouvoir prétendre au bénéfice de la qualification professionnelle à être dirigeants dans les agences de recherches privées :1. Les officiers de l'armée de terre et les sous-officiers de l'armée de terre titulaires du brevet supérieur de technicien de l'armée de terre, du brevet militaire professionnel de second degré, ou de la qualification des acquis professionnels de second niveau, et qui ont exercé, durant trois années au moins, une activité de « recherche humaine » ou « interventions spéciales » en tant que chef de cellule, chef de groupe, chef de section ou commandant de compagnie.2. Les officiers, les majors et les adjudants-chefs de l'armée de l'air qui ont exercé, durant deux années au moins, un commandement dans les commandos parachutistes de l'air ou la participation air au commandement des opérations spéciales.3. Les officiers et officiers mariniers de la marine nationale qui ont servi au sein d'une formation de la force maritime des fusiliers marins et des commandos soit, durant deux années au moins, comme commandant ou officier en second, soit, durant trois années au moins, comme chef de groupe en commando ou au sein du bureau renseignement.4. Après avis du directeur de la protection et de la sécurité de la défense, les officiers, les sous-officiers et les fonctionnaires civils du ministère de la défense de catégories A et B qui ont accompli cinq années au moins de service à la direction de la protection et de la sécurité de la défense. Ils doivent avoir occupé des fonctions de commandement ou d'encadrement, ou avoir été inspecteur de sécurité de défense ou inspecteur de sûreté navale.

Remplissent les conditions pour pouvoir prétendre au bénéfice de la reconnaissance de leur aptitude professionnelle à être salariés dans les agences de recherches privées :1. Les officiers de l'armée de terre et les sous-officiers de l'armée de terre titulaires du brevet de spécialiste de l'armée de terre, du brevet supérieur de technicien de l'armée de terre, du brevet militaire professionnel de premier ou second degré ou de la qualification des acquis professionnels de second niveau et qui ont servi, durant trois années au moins, dans une activité de « recherche humaine » ou « interventions spéciales ».2. Les officiers et sous-officiers de l'armée de l'air qui ont servi, durant trois années au moins, dans les commandos parachutistes de l'air ou la participation air au commandement des opérations spéciales.3. Les officiers et officiers mariniers de la marine nationale qui ont servi, durant trois années au moins, au sein d'un commando ou du bureau renseignement d'une formation de la force maritime des fusiliers marins et des commandos.4. Après avis du directeur de la protection et de la sécurité de la défense, les officiers, les sous-officiers et les fonctionnaires civils du ministère de la défense de catégories A et B qui ont accompli trois années au moins de service à la direction de la protection et de la sécurité de la défense.

D’après nos indiscrétions, il semblerait qu’un groupe de travail se soit mis en place à l’Elysée pour réviser la loi du 14 avril 2003. En vue de quoi ? On y reviendra. Mais les plus heureux doivent être vraisemblablement les dirigeants de Secopex qui présentent leur entreprise comme la première société militaire privée en France….

vendredi 21 mars 2008

Ahmadinejad, Al-Maliki, Fallon et les autres

La démission de l’amiral William Fallon de son poste de chef du CentCom (Central Command) de l’armée américaine a-t-elle un lien avec la politique américaine en Iran ? Cet amiral prêt à donner même quand on ne lui demande pas a remis en question la stratégie de l’administration Bush en Irak. Il paie chère son désaccord. Mais comme le disent les militaires, un officier en exercice, fut-il général ou amiral, ne peut pas aller à l’encontre de sa hiérarchie.

Il a le droit d’exprimer des doutes. Mais en interne. Pas en public, comme il l’a fait en confiant à un journaliste Thomas Barnett de la revue Esquire. Sans prononcer le nom du président Bush, l’amiral tient des propos sévères sur le conduite de la guerre et la vision des conflits, se mettant à dos le général David Petraeus, commandant en chef du contingent américain dont les méthodes en Irak enregistrent des succès dans la lutte contre le terrorisme.

Mais si derrière cette démission se cachait une volonté américaine de muscler son discours à l’égard de l’Iran ? L’amiral juge que la guerre contre l’Iran n’est pas possible, du moins c’est à cela qu’il travaille, dit-il. En faisant sauter l’obstacle dans la chaîne de commandement, Washington, dont Bush est le chef des armées, n’oublions pas, pourrait très bien envisager avec plus de sérénité la mise en place d’un processus militaire contre l’Iran. Pas une offensive terrestre, les Américains n’en ont pas les moyens aujourd’hui, le matériel n’est pas opérationnel, le nombres de missiles insuffisant et l’Amérique est en année électorale. Non pas une offensive au sol mais des frappes préventives. Un raid de chasseurs et des opérations commandos. Ou encore plus cyniquement jouer avec les nerfs des Iraniens : changer de chef d’état-major pour renforcer la menace d’une attaque. Mais juste la menace. Menacer sans intervenir, poursuivre la guerre psychologique d’une certaine manière.

En même temps, les Etats-Unis enregistrent à l’occasion du cinquième anniversaire de la guerre en Irak, quelques progrès en Mésopotamie. La violence recule dans les provinces irakiennes. Mais pourquoi ? S’agit-il simplement des effets du « surge » (renfort) ? Et de la méthode du général David Petraeus qui consiste à payer les milices contre Al Qaida ? D’une prise de conscience des Irakiens contre Al Qaida ? Non, il semblerait, d’après tous les experts, qu’Iraniens et Américains se soient mis d’accord sur place, pour que l’accalmie règne un temps en Irak. Pour les Américains, l’année 2008 est une année électorale. Pour les Iraniens, il faut garder Al-Maliki, le premier ministre irakien, au pouvoir à Bagdad.

Alors, deux processus, deux langages. Rien de nouveau. D’un côté, on discute et négocie avec des résultats. De l’autre, on s’impatiente et se prépare à toutes les éventualités.



mardi 4 mars 2008

La Russie à un tournant

C’est l’heure de parler de la Russie. Les électeurs russes viennent de valider le choix de Vladimir Poutine d’ « élire » Dimitri Medvedev à la tête du pays pour quatre ans au moins, avec l’actuel président comme premier ministre. La passation de pouvoir devrait avoir lieu début mai.

C’est l’heure de parler de la « Grande Russie » et de son tout nouveau « président » Dimitri Medvedev. Premier vice-premier ministre, le jeune héritier de Poutine est membre du conseil d’administration de Gazprom, ce nouveau centre de gravité du pouvoir russe formateur des nouvelles élites, tout comme les prétendants au poste de Secrétaire général du PCUS devaient être issus du Politburo pour espérer jouer un rôle au premier plan de la scène politique. On change de costume mais le buste reste le même.

La Russie a changé de président, disons le vite, mais a-t-elle changé de stratégie pour autant ? On parle déjà de Medvedev comme « un nouveau Gorbatchev » ou un « nouveau Krouchtchev », c'est-à-dire un nouveau leader issu du sérail sélectionné pour ses capacités à maintenir le statu quo garantissant les privilèges des hommes du pouvoir.

Le système soviétique est fondé sur deux piliers, le KGB et l’armée. Les deux étant couverts par le lourd manteau du PCUS, garant et vitrine du système. L’URSS et PCUS tombés, le système a continué de fonctionner avec le FSB (nouveau KGB) et l’armée en pleine restructuration. Le choix du leader soviétique est toujours le résultat d’un arbitrage entre ces deux piliers ou de la domination de l’un sur l’autre. Gorbatchev a été le choix du compromis KGB-armée, Eltsine, celui des réformateurs du KGB. Après les tentatives ratées des Kirienko et autres Stépachine, signe de dissensions entre silovikis et militaires, les deux mamelles du régime se sont mises d’accord sur Vladimir Poutine, l’ancien patron du FSB proche des généraux. Là, on est à un tournant : le choix de Medvedev montre que les militaires ont perdu la bataille en interne. Le candidat des militaires était Sergueï Ivanov, l’autre figure montante du régime. Mais il a été écarté au profit du génie de Gazprom.

Pourquoi ? Car si l’Etat profond russe a choisi Medvedev, c’est qu’il fait le pari de la modernisation, de la restructuration et de l’intégration de la Russie dans les grands circuits mondiaux. Plus qu’une adaptation, la Russie, après le « we will bury you » de Krouchtchev passera au « we will buy » écrit Gideon Rachman dans le Financial Times.

C’est donc le temps d’une nouvelle stratégie, renchérit de son côté Nikolas Gvosdev dans une tribune parue dans l’International Herald Tribune. Une stratégie de « pénétration globale » écrit Yves Boyer, jusque là multisectorielle : stratégie, militaire, politique, commerciale et énergétique. Voilà ce qu’il dit : « Il ne faut pas se tromper sur ce concept de pénétration globale, ni sur l’idée sous-jacente. Je ne pense pas que l’objectif soit celui d’un retour à la situation de la Guerre froide. Il me semble qu’il s’agit plutôt pour la Russie de se positionner favorablement
dans le grand marchandage qui pourrait avoir lieu avec les Occidentaux dans les années à venir. Ce grand marchandage sera sous-tendu par un certain nombre de menaces qui risquent de survenir à l’horizon d’une dizaine ou d’une quinzaine d’années. Pour y faire face, la Russie veut se positionner en situation de force ».

La Russie en transition avance dans le XXIe siècle avec le gaz dans sa main droite et le pétrole dans sa main gauche. Riches en hydrocarbures, la Russie veut dominer son espace direct par d’autres moyens. Hier, la carte prolétarienne mondiale avec le Komintern, aujourd’hui, la carte énergétique mondiale avec Gazprom.

La Russie devrait proposer un partenariat avec l’Europe, car Russes et Européens ont des intérêts communs au-delà de la paix. Les projets énergétiques sont là pour le prouver.

La Russie devrait aussi consolider ses liens avec les Etats-Unis et espèrent – depuis qu’elle a fait le choix de Medvedev – que les Américains voteront en faveur d’un démocrate le 4 novembre 2008, un démocrate forcément plus multiléraliste qu’un républicain, de surcroît faucon comme l’est McCain, lequel avait déclaré il y a trois mois, « quand je regarde Poutine face à face, je vois trois lettres dans ces yeux : K-G-B ».

La Russie montre des premiers signes de changements. Elle a reçu à Moscou en février le président géorgien Mikheïl Saakachvili pour tenter de normaliser les relations entre ces deux Etats en froid depuis les indépendances à l’Est. Des premiers gestes de bonne volonté devraient surgir dans quelques jours : la fin de la guerre du vin ou aucune reconnaissance par Moscou de l’indépendance de l’Abkhazie ou de l’Ossétie du Sud, par exemple. Poutine a également rencontré son homologue moldave, Voronine, en février pour tenter de régler la question de la Transnistrie. Un plan de paix serait en discussion, la neutralité de la Moldavie contre l’intégrité territoriale de Chisinau comprenant la Transnistrie. Enfin, Moscou n’a pas fermement soutenu son « candidat » en Arménie, Serge Sarkissian, puisqu’elle a reçu son opposant Levon Ter Petrossian. En laissant planer le flou au-dessus du scrutin, il ne fallait s’attendre à autre chose que les violences du 1er mars dans cette République sud-caucasienne, véritable poste-avancé de la Fédération russe dans cette région sensible. Si la Russie avait affiché plus haut son soutien à Serge Sarkissian, il n’y aurait pas eu de violence. On verra ce que cela donnera à propos de la question du Haut-Karabakh, théâtre d’un processus de paix arméno-azéri sous la médiation du groupe de Minsk de l’OSCE présidé par la France, les Etats-Unis et la Russie.

C’est donc une fin de cycle qui s’est opérée à Moscou, au-delà de la fin des deux mandats de Poutine. Certains projets n’ont pas marché, d’autres oui. Développer ce qui est porteur et geler ce qui l’est moins, telle pourrait être la nouvelle aspiration du régime russe. Un nouveau chapitre s’ouvre : Medvedev, le président de l’intégration économique de la Russie par la domination des secteurs clefs, c’est faire du Poutine sans les bottes ou du Gorbatchev sans le socialisme mais avec la même volonté de séduire l’Occident.

Eltsine a été l’homme du reflux et du déclin. Poutine, celui du retour de l’autorité et du rétablissement de valeurs. Medvedev est chargé d’être celui de la contre-offensive en utilisant les instruments de l’Occident pour mieux tenter de l'influencer. Mais attention, la Russie n’est ni européenne, ni asiatique, ni poutinienne, ni medvedevienne, elle se veut être au centre du monde. C’est du moins l’ambition des nouveaux maîtres du Kremlin. Elle est européenne par ses valeurs, sa culture et sa population vieillissante. Elle est asiatique par ses vieilles infrastructures, son modèle économique, ses gisements sibériens et son goût pour l’opacité.