Qui ne veut pas de Nabucco ?Bien entendu, les Russes ne veulent pas en entendre parler pour plusieurs raisons. La première est qu'ils ont deux projets alternatifs. Au nord, il y a le projet NorthStream devant relier la Sibérie à l'Allemagne via la Baltique (Saint Petersbourg). Il soulève de fortes critiques de la part des pays baltes dont les eaux territoriales seraient traversées. Il causerait également d'importants dégâts écologiques. Son coût est très élevé (7,4 milliards d'euros), l'Allemagne et la Finlande sont partie prenantes du projet.
Au sud, il y a le projet SouthStream censé relier la Russie à l'Europe via la mer Noire (Beregovaya), la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, l'Autriche. Un tronçon relierait la Bulgarie à l'Italie via la Grèce. Ce projet est en cours de finalisation et offre l'avantage de traverser un espace maritime. Son coût varie entre 7 et 10 milliards d'euros.
Certains observateurs français font également remarquer que Nabucco comme les projets via l'Ukraine ne facilitent pas la fluidité des échanges, considérant que la traversée de territoires est toujours plus problématique en terme d'indépendance énergétique que les pipelines off-shore, comme SouthStream ou NorthStream. C'est bien connu : les poissons n'ont jamais empêché pétrole et gaz de passer, les hommes oui.
Des observateurs allemands considèrent également pour des raisons politiques qu'il vaut mieux privilégier les relations avec la Russie car le coût de Nabucco est trop élevé et que les fonds ne sont pas réunis.
Quel est le coût de Nabucco ?
Son prix a été révisé à la hausse à plusieurs reprises. En janvier 2009, son coût a été estimé à 8 milliards d'euros. En période de crise, réunir cette somme risque de prendre du temps. La Commission européenne a versé la somme de 300 millions d'euros pour le pré-financement de la construction du pipeline entre la Turquie et l'Autriche.
Pour gagner du temps, la conférence de Budapest a mis en place une feuille de route en deux temps. Jusqu'en juin 2009, les membres du consortium doivent obtenir un accord inter-gouvernemental entre pays concernés en vue d'établir la légalité du projet multilatéral. L'accord final est prévu pour juin 2009 en Turquie.
Les premières constructions sont prévus pour 2011, avec des premiers pompages en 2014. La seconde phase de construction du pipeline est prévu pour 2019 avec une capacité de 31 millions de m3 par an.
Y a-t-il assez de gaz pour Nabucco ?
C'est toute la question. L'Azerbaïdjan qui a rapidement besoin de Nabucco estime que oui. L'approvisionnement serait assuré. Jusqu'à un certain point en réalité. Pour Bakou, la construction du gazoduc peut donc commencer dans sa partie occidentale. La partie orientale est subordonnée aux négociations sur le statut de la Caspienne. Dans sa phase finale, Nabucco a besoin d'immenses quantités de gaz. Ces réserves se trouvent soit en Russie, soit en Asie centrale, soit en Iran. D'ailleurs M. Lavrov, ministre des affaires étrangères russes ne s'est pas trompé en déclarant « Nabucco, mais faites-le, si vous trouvez suffisamment de gaz ! »
Quels sont les enjeux de Nabucco ?
Si l'Azerbaïdjan parvient à terme à se raccorder à l'Asie centrale, quelle sera la réaction de la Russie ? Moscou laissera-t-il partir la production d'hydrocarbures de ces deux partenaires d'Asie centrale. Peu probable dans la mesure où la Russie s'est assurée l'exploitation des ressources en hydrocarbures du Kazakhstan et du Turkménistan. Et à l'heure où la Russie veut consolider sa présence dans le Caucase du Sud, laisser l'Azerbaïdjan maintenir son indépendance avec jalousie contrarie les plans russes.
Si la Turquie se trouve sur Nabucco, qu'en sera-t-il des négociations avec l'Union européenne ? Ankara, devenu un territoire de transit, a tout intérêt à démontrer qu'une Turquie dans l'UE renforce l'influence des Européens dans la région. Mais Ankara a un souci de calendrier. La Turquie veut faire coïncider la construction de Nabucco à l'ouverture des négociations sur les chapitres clés enclenchant son adhésion à l'UE. A Ankara de manoeuvrer intelligemment pour rendre les deux dynamiques indissociables dans leur construction parallèle. Exercice pour le moins difficile. Les Européens hostiles à l'adhésion d'Ankara à l'UE l'ont bien saisi : soit ils veulent faire accélérer la construction de Nabucco, soit ils rejettent tout en bloc et privilégient la voie russe.
Si Nabucco passe par l'Arménie, qu'en sera-t-il du Haut-Karabakh et de la reconnaissance du génocide des Arméniens par les Etats-Unis ? L'intégration régionale de l'Arménie est un voeu de la Russie et des Européens mais pour les mêmes raisons. Pour la Russie, l'Arménie est l'Etat vassal de la Russie dans la région, la « Kaliningrad » du sud de Moscou, le poste-avancé du Kremlin aux portes de l'Iran et du Proche-Orient. La totalité du parc énergétique arménien est entre les mains des géants russes (Gazprom, Itera, UES-RAU). Tout projet qui passerait par l'Arménie renforcerait donc la Russie. Voilà pourquoi et c'est la seule raison, la Russie ne voit pas d'un mauvais oeil le passage de Nabucco par l'Arménie. Passer par Erevan revient à renforcer l'influence de la Russie dans la région. A cet effet, la Russie pousse l'Arménie à normaliser ses relations avec la Turquie et propose une médiation autonome à Erevan et Bakou à propos du Haut-Karabakh. Officiellement, c'est le groupe de Minsk de l'OSCE co-présidé par la Russie, la France et les Etats-Unis qui est chargé de rétablir la paix dans la région. Mais la Russie espère tenir le leadership depuis sa démonstration de force en Géorgie. Elle pousse l'Azerbaïdjan à renoncer à toute reprise des hostilités et invite l'Arménie à faire preuve de réalisme dans le règlement de cette question et pour son désenclavement régional. Moscou cherche en même temps à fragiliser la Géorgie, voire à l'isoler dans le cadre de ces nouveaux projets. Mais que se passera-t-il si Washington, dont l'administration démocrate est la plus arménophile depuis W. Wilson, respectait les promesses du candidat Obama de reconnaître le génocide de 1915. la Turquie s'en inquiète et l'a fait savoir à Joe Biden à Munich. La Russie s'y oppose de peur de voir son allié arménien gagné par l'Obamania. L'Azerbaïdjan s'en insurge de peur de voir la question du Haut-Karabakh rétrogradée. La question est d'autant plus sérieuse que le lobby pro-israélien à Washington n'opposera plus la moindre contrainte à la reconnaissance du génocide des Arméniens au Congrès. Israël également. Pourquoi ? Car les déclarations du gouvernement turc et la sortie théâtrale de M. Erdoggan à Davos contre la politique israélienne à Gaza lors de la guerre 2008-2009 ont indigné l'Etat hébreu, considéré comme l'allié de la Turquie dans la région. Aux propos de la Turquie condamnant Israël pour « crime contre l'humanité à Gaza », les Israéliens pourraient répondre par une reconnaissance du génocide à la Knesset.
Si la Turquie a pris la tête du mouvement contre Israël, ce n'est pas que pour des raisons électorales (prochainement les unicipales), c'est aussi et surtout pour des raisons stratégiques : se rapprocher du monde arabe et de l'Iran, notamment jouer la carte iranienne dans l'approvisionnement en gaz.
Si l'Iran se trouve à la source de Nabucco en cas d'échec avec l'Asie centrale, quels seront les relations entre la Russie et l'Iran ? Partenaires stratégiques et économiques, Russes et Iraniens n'ont pas les mêmes intérêts énergétiques et géopolitiques. En cas de réchauffement avec les Etats-Unis, l'Iran maintiendra-t-elle des relations privilégiées avec la Russie. L'arbitrage pro-iranien de la Russie au Conseil de sécurité sera-t-il toujours de vigueur en cas de sélection de la route iranienne pour Nabucco.
Tout le monde a très bien compris les enjeux du Nabucco. L'Azerbaïdjan fait monter les enchères. Les Etats-Unis veulent renouer avec la Russie et l'Iran sans trop savoir comment. La Russie et l'Iran se disent prêts à dialoguer avec Washington en attendant les premières concessions américaines. La Turquie veut suivre son double agenda (adhésion à l'UE et Nabucco). L'Arménie est ouverte au dialogue mais ne veut pas faire le premier pas décisif. La Géorgie multiplie les mesures de sécurité sans trop savoir ce qui va se passer sur le front intérieur. L'Union européenne ne veut plus être l'otage des coups bas entre Ukrainiens et Russes et tient à ses relations privilégiées avec les Etats-Unis et son partenariat avec la Russie. Le tout sur fond de crise financière...
1 commentaire:
C'est curieux un chercheur arménien nommé Gaidz Minassian écrit la même chose que vous
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