vendredi 13 février 2009

Nabucco, le tuyau de la paix ? (2)

Qui ne veut pas de Nabucco ?
Bien entendu, les Russes ne veulent pas en entendre parler pour plusieurs raisons. La première est qu'ils ont deux projets alternatifs. Au nord, il y a le projet NorthStream devant relier la Sibérie à l'Allemagne via la Baltique (Saint Petersbourg). Il soulève de fortes critiques de la part des pays baltes dont les eaux territoriales seraient traversées. Il causerait également d'importants dégâts écologiques. Son coût est très élevé (7,4 milliards d'euros), l'Allemagne et la Finlande sont partie prenantes du projet.
Au sud, il y a le projet SouthStream censé relier la Russie à l'Europe via la mer Noire (Beregovaya), la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, l'Autriche. Un tronçon relierait la Bulgarie à l'Italie via la Grèce. Ce projet est en cours de finalisation et offre l'avantage de traverser un espace maritime. Son coût varie entre 7 et 10 milliards d'euros.
Certains observateurs français font également remarquer que Nabucco comme les projets via l'Ukraine ne facilitent pas la fluidité des échanges, considérant que la traversée de territoires est toujours plus problématique en terme d'indépendance énergétique que les pipelines off-shore, comme SouthStream ou NorthStream. C'est bien connu : les poissons n'ont jamais empêché pétrole et gaz de passer, les hommes oui.
Des observateurs allemands considèrent également pour des raisons politiques qu'il vaut mieux privilégier les relations avec la Russie car le coût de Nabucco est trop élevé et que les fonds ne sont pas réunis.

Quel est le coût de Nabucco ?
Son prix a été révisé à la hausse à plusieurs reprises. En janvier 2009, son coût a été estimé à 8 milliards d'euros. En période de crise, réunir cette somme risque de prendre du temps. La Commission européenne a versé la somme de 300 millions d'euros pour le pré-financement de la construction du pipeline entre la Turquie et l'Autriche.
Pour gagner du temps, la conférence de Budapest a mis en place une feuille de route en deux temps. Jusqu'en juin 2009, les membres du consortium doivent obtenir un accord inter-gouvernemental entre pays concernés en vue d'établir la légalité du projet multilatéral. L'accord final est prévu pour juin 2009 en Turquie.
Les premières constructions sont prévus pour 2011, avec des premiers pompages en 2014. La seconde phase de construction du pipeline est prévu pour 2019 avec une capacité de 31 millions de m3 par an.

Y a-t-il assez de gaz pour Nabucco ?
C'est toute la question. L'Azerbaïdjan qui a rapidement besoin de Nabucco estime que oui. L'approvisionnement serait assuré. Jusqu'à un certain point en réalité. Pour Bakou, la construction du gazoduc peut donc commencer dans sa partie occidentale. La partie orientale est subordonnée aux négociations sur le statut de la Caspienne. Dans sa phase finale, Nabucco a besoin d'immenses quantités de gaz. Ces réserves se trouvent soit en Russie, soit en Asie centrale, soit en Iran. D'ailleurs M. Lavrov, ministre des affaires étrangères russes ne s'est pas trompé en déclarant « Nabucco, mais faites-le, si vous trouvez suffisamment de gaz ! »

Quels sont les enjeux de Nabucco ?
Si l'Azerbaïdjan parvient à terme à se raccorder à l'Asie centrale, quelle sera la réaction de la Russie ? Moscou laissera-t-il partir la production d'hydrocarbures de ces deux partenaires d'Asie centrale. Peu probable dans la mesure où la Russie s'est assurée l'exploitation des ressources en hydrocarbures du Kazakhstan et du Turkménistan. Et à l'heure où la Russie veut consolider sa présence dans le Caucase du Sud, laisser l'Azerbaïdjan maintenir son indépendance avec jalousie contrarie les plans russes.
Si la Turquie se trouve sur Nabucco, qu'en sera-t-il des négociations avec l'Union européenne ? Ankara, devenu un territoire de transit, a tout intérêt à démontrer qu'une Turquie dans l'UE renforce l'influence des Européens dans la région. Mais Ankara a un souci de calendrier. La Turquie veut faire coïncider la construction de Nabucco à l'ouverture des négociations sur les chapitres clés enclenchant son adhésion à l'UE. A Ankara de manoeuvrer intelligemment pour rendre les deux dynamiques indissociables dans leur construction parallèle. Exercice pour le moins difficile. Les Européens hostiles à l'adhésion d'Ankara à l'UE l'ont bien saisi : soit ils veulent faire accélérer la construction de Nabucco, soit ils rejettent tout en bloc et privilégient la voie russe.
Si Nabucco passe par l'Arménie, qu'en sera-t-il du Haut-Karabakh et de la reconnaissance du génocide des Arméniens par les Etats-Unis ? L'intégration régionale de l'Arménie est un voeu de la Russie et des Européens mais pour les mêmes raisons. Pour la Russie, l'Arménie est l'Etat vassal de la Russie dans la région, la « Kaliningrad » du sud de Moscou, le poste-avancé du Kremlin aux portes de l'Iran et du Proche-Orient. La totalité du parc énergétique arménien est entre les mains des géants russes (Gazprom, Itera, UES-RAU). Tout projet qui passerait par l'Arménie renforcerait donc la Russie. Voilà pourquoi et c'est la seule raison, la Russie ne voit pas d'un mauvais oeil le passage de Nabucco par l'Arménie. Passer par Erevan revient à renforcer l'influence de la Russie dans la région. A cet effet, la Russie pousse l'Arménie à normaliser ses relations avec la Turquie et propose une médiation autonome à Erevan et Bakou à propos du Haut-Karabakh. Officiellement, c'est le groupe de Minsk de l'OSCE co-présidé par la Russie, la France et les Etats-Unis qui est chargé de rétablir la paix dans la région. Mais la Russie espère tenir le leadership depuis sa démonstration de force en Géorgie. Elle pousse l'Azerbaïdjan à renoncer à toute reprise des hostilités et invite l'Arménie à faire preuve de réalisme dans le règlement de cette question et pour son désenclavement régional. Moscou cherche en même temps à fragiliser la Géorgie, voire à l'isoler dans le cadre de ces nouveaux projets. Mais que se passera-t-il si Washington, dont l'administration démocrate est la plus arménophile depuis W. Wilson, respectait les promesses du candidat Obama de reconnaître le génocide de 1915. la Turquie s'en inquiète et l'a fait savoir à Joe Biden à Munich. La Russie s'y oppose de peur de voir son allié arménien gagné par l'Obamania. L'Azerbaïdjan s'en insurge de peur de voir la question du Haut-Karabakh rétrogradée. La question est d'autant plus sérieuse que le lobby pro-israélien à Washington n'opposera plus la moindre contrainte à la reconnaissance du génocide des Arméniens au Congrès. Israël également. Pourquoi ? Car les déclarations du gouvernement turc et la sortie théâtrale de M. Erdoggan à Davos contre la politique israélienne à Gaza lors de la guerre 2008-2009 ont indigné l'Etat hébreu, considéré comme l'allié de la Turquie dans la région. Aux propos de la Turquie condamnant Israël pour « crime contre l'humanité à Gaza », les Israéliens pourraient répondre par une reconnaissance du génocide à la Knesset.
Si la Turquie a pris la tête du mouvement contre Israël, ce n'est pas que pour des raisons électorales (prochainement les unicipales), c'est aussi et surtout pour des raisons stratégiques : se rapprocher du monde arabe et de l'Iran, notamment jouer la carte iranienne dans l'approvisionnement en gaz.
Si l'Iran se trouve à la source de Nabucco en cas d'échec avec l'Asie centrale, quels seront les relations entre la Russie et l'Iran ? Partenaires stratégiques et économiques, Russes et Iraniens n'ont pas les mêmes intérêts énergétiques et géopolitiques. En cas de réchauffement avec les Etats-Unis, l'Iran maintiendra-t-elle des relations privilégiées avec la Russie. L'arbitrage pro-iranien de la Russie au Conseil de sécurité sera-t-il toujours de vigueur en cas de sélection de la route iranienne pour Nabucco.

Tout le monde a très bien compris les enjeux du Nabucco. L'Azerbaïdjan fait monter les enchères. Les Etats-Unis veulent renouer avec la Russie et l'Iran sans trop savoir comment. La Russie et l'Iran se disent prêts à dialoguer avec Washington en attendant les premières concessions américaines. La Turquie veut suivre son double agenda (adhésion à l'UE et Nabucco). L'Arménie est ouverte au dialogue mais ne veut pas faire le premier pas décisif. La Géorgie multiplie les mesures de sécurité sans trop savoir ce qui va se passer sur le front intérieur. L'Union européenne ne veut plus être l'otage des coups bas entre Ukrainiens et Russes et tient à ses relations privilégiées avec les Etats-Unis et son partenariat avec la Russie. Le tout sur fond de crise financière...

mercredi 11 février 2009

Nabucco, le tuyau de la paix ? (Première partie)

Le projet de gazoduc censé relier l'Asie centrale à l'Europe est soutenu par les Américains et les Européens. Mais il n'est pas finalisé : son coût, son tracé et ses ressources posent problèmes. Toujours en l'état de projet, Nabucco pourrait cependant en cas de réalisation favoriser la paix de la Caspienne aux Balkans. Encore faut-il régler au préalable des dossiers sensibles comme le nucléaire iranien, le statut de la Caspienne ou encore la crise du Haut-Karabakh entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.

Nabucco sera-t-il le gazoduc de la paix de l'Asie centrale aux Balkans ? C'est le souhait de certains Européens qui pensent qu'en dépit de son coût, de son tracé et de ses ressources, le projet pharaonique peut apporter la paix.

Mais de quoi s'agit-il au juste ?
La légende dit que les principaux instigateurs de ce projet auraient donné le nom de « Nabucco » à leur futur pipeline en sortant d'une représentation de l'opéra de Verdi, « Nabuchodonosor ». Il ne s'agit donc pas d'une création artistique, mais bien d'un gazoduc reliant l'Asie centrale à l'Europe. L'Union européenne a validé le projet au milieu des années 2000 dans le cadre de sa politique de sécurité énergétique. Pour la première fois, l'Union européenne s'est ouvertement investi dans ce projet lors de la conférence de Budapest, les 26 et 27 janvier 2009, peu après la guerre du gaz entre l'Ukraine et la Russie.

Pourquoi Nabucco ?
Pour les Européens, il s'agit essentiellement de diversifier leurs approvisionnements en sortant d'une dépendance énergétique à l'égard de la Russie. Il est également question d'éviter d'être pris en otage par les Russes et les Ukrainiens. L'argument est défendu avec plus de détermination parmi les nouveaux entrants dans l'UE (Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Roumanie et Bulgarie) directement touchés par la guerre du gaz entre Kiev et Moscou. Pour les autres Etats non-européens, comme la Turquie, les pays du Caucase et ceux d'Asie centrale, il s'agit de participer à la redéfinition de la carte énergétique mondiale, de développer leur économie avec des clients européens solvables, de gagner leur place dans les processus multilatéraux, d'accréditer une candidature à l'UE ou tout simplement de proposer une alternative aux routes russes.
Enfin, d'autres pays proche-orientaux sont intéressés par le projet : l'Iran, l'Irak et l'Egypte. Il s'agit essentiellement de désenclaver leur économie, d'asseoir leur position internationale et de développer leur secteur énergétique en direction des marchés européens.

Qui se charge de Nabucco ?
Deux initiatives ont récemment été prises : Le Caspian Development Corporation créé par la Commission européenne et le Caspian Energy Company ou membres du consortium de Nabucco composé d'OMV (Autriche), RWE (Allemagne), MOL (Hongrie), Transgaz (Roumanie), Bulgargaz (Bulgarie), BOTAS (Turquie).

Quel est son tracé ?
Il s'étendrait de l'Asie centrale à l'Autriche via l'Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie. Seul le tronçon reliant Bakou à Erzeroum est construit. Il s'agit du gazoduc BTE. Il manque encore les raccordements à l'Asie centrale et la construction du pipeline reliant la Turquie à l'Autriche.

Ce tracé pose-t-il un problème ?
Pas un mais quatre problèmes majeurs :
le statut de la Caspienne n'est pas déterminé : est-ce une mer ou un lac ? La Russie et l'Iran s'opposent à l'Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan. La Russie bloque tout projet transcaspien car elle ne veut pas voir les richesses d'Asie centrale contourner son territoire. L'Azerbaïdjan, lui, a une ambition : devenir un territoire transit pour sauver son indépendance et son rythme de croissance (25% par an jusqu'en 2008). Si Bakou échoue, son avenir sera plus qu'incertain. Sa production de pétrole va commencer à baisser à partir de 2012-2013 et le gaz est censé prendre le relais pour son développement. Or, le gisement de Shah Deniz, qui est à la source off-shore de Nabucco, ne contient pas assez de réserves de gaz pour alimenter ce projet pharaonique. Récemment, Gazprom a proposé à Bakou de racheter l'ensemble des réserves de gaz à des prix internationaux (soit environ 450 dollars la tonne de m3). Bakou n'a toujours pas répondu. Si l'Azerbaidjan répond favorablement, Nabucco est très compromis.
Le BTE est une garantie. Il existe. Mais la guerre des Cinq jours entre la Russie et la Géorgie a affaibli la route géorgienne. La Russie est parvenue à démonétiser la Géorgie. Le facteur risque-Etat de Tbilissi a augmenté. L'Azerbaïdjan a perdu 1 milliard de dollars lors de la guerre des Cinq jours. Peut-il prendre le risque de perdre des devises en cas de nouvelle tension entre la Géorgie et la Russie ? Vraisemblablement, non, Bakou et les Européens s'interrogent sur une route alternative : l'Arménie.
Mais là, deux autres problèmes surgissent : la crise du Haut-Karabakh et la fermeture de la frontière entre l'Arménie et la Turquie. Pour l'heure, les choses n'ont pas bougé. Les relations turco-arménienne sont en cours de dépoussiérage. Turcs et Arméniens multiplient les déclarations de bonnes intentions, la normalisation est à l'agenda. Mais elle coûte chère côté arménien : faudra-t-il renoncer à la reconnaissance du génocide des Arméniens ? Faudra-t-il renoncer à la réunification avec le Haut-Karabakh ? Bakou et Erevan ont signé un accord le 2 novembre 2008 sous l'égide de la Russie dans le cadre du respect du processus de Madrid et au nom d'un règlement pacifique de la crise du Haut-Karabakh. Depuis, plus rien. La dernière rencontre à Davos en janvier 2009 entre Sarkissian et Aliev n'a rien donné. Mais de bons espoirs se lisent de chaque côté pour que la frontière se rouvre dans quelques mois.
Enfin, quatrième problème, l'Iran et son programme nucléaire iranien. Tant que les relations avec l'Occident sont bloquées, l'Iran ne pourra prétendre jouer un rôle dans Nabucco. Mais en cas de règlement avec Américains et Européens, la route iranienne peut être envisagée comme alternative à la route asiatique.

samedi 13 septembre 2008

Nouveaux projets dans le Caucase du Sud ?

Après les projets soutenus par les Occidentaux (BTC, BTE prochainement), la Russie ne serait-elle pas en train de contre-attaquer sur le front énergétique ? La guerre des Cinq jours dans le Caucase n’est-elle pas le premier pas d’une nouvelle configuration du Caucase du Sud, avec cette foi-ci l’Iran et la Russie au centre du jeu… Avec toute la prudence qui s’impose et sans spéculation, il est possible à cette heure et eu égard aux informations en possessions d’avancer deux hypothèses complémentaires…

Depuis la guerre contre la Géorgie, les pipelines défendus pas les Occidentaux sont fragilisés mais fonctionnent ; et rien n’indique qu’il cesseront d’exister. Or, la route est vulnérable et l’affaiblissement de la Géorgie montre que le Caucase du Sud n’a plus de pivot régional. Et un Caucase du Sud sans pivot, c’est une « région » fragmentée au seul bénéfice de la Russie.

Au-delà de la guerre entre la Russie et la Géorgie, d’autres événements importants se sont produits dans cette région sensible : le rapprochement entre la Turquie et l’Arménie ; la normalisation entre la Russie et l’Azerbaïdjan ; la plus forte présence de l’Union européenne dans la région ; le renforcement des liens entre la Russie et l’Iran et les couacs dans les relations entre les Etats-Unis et l’Azerbaïdjan.

Si les hydrocarbures n’ont pas été la cause directe du conflit en Ossétie du Sud, la question énergétique reste la toile de fond des problèmes régionaux. Cette démonstration de puissance russe entraîne dans son sillage le renforcement de ses alliances et partenariats, à commencer avec l’Arménie et l’Iran, deux Etats proches de Moscou.

Deux hypothèses se complètent et peuvent en cas de réalisation changer la donne régionale et transformer l’évolution du Caucase du Sud mais aussi la carte énergétique mondiale, avec un effet sur la sécurité et la paix dans le monde.

Hypothèse 1 : un rapprochement entre la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran. L’Azerbaïdjan n’a qu’une ambition : devenir un territoire de transit en hydrocarbures car elle se sent fragile en termes de volume des réserves prouvées. La route caspienne est fermée : la Russie empêche tout projet transcaspien et l’impasse sur le statut de la mer Caspienne interdit tout plan de développement régional. Bakou n’a qu’un choix se tourner vers la Russie et l’Iran.
L’Iran cherche à écouler ses hydrocarbures en direction du nord, par le Caucase. Pris en tenaille à l’ouest (Irak) et à l’est (Afghanistan), Téhéran voit dans la porte de secours du Caucase le moyen le plus rapide de gagner les marchés européens pour acheminer son pétrole et son gaz. La route azérie lui permettrait également de « tenir » ce voisin du nord dont l’excès de puissance peut se révéler un handicap pour l’intégrité de l’Iran (question du Haut-Karabakh et question de la minorité azérie en Iran, de 14 à 17 millions de personnes).
Quant à la Russie, elle est favorable à tous les projets qui transitent par son territoire. Ainsi, Russes, Azéris et Iraniens auraient un intérêt commun à sceller des partenariats énergétiques le long de la Caspienne jusqu’à la mer Noire et l’Europe dans son ensemble. Il existe déjà un projet - aujourd’hui finalisé - de construction d’une ligne de chemin de fer reliant les trois Etats. Pourquoi pas des pipelines…

Hypothèse 2 : un rapprochement entre la Turquie, la Russie et son allié arménien et l’Iran. Peu ont vu dans le rapprochement arméno-turc une volonté russe de s’investir dans la normalisation entre ces deux Etats ennemis et la réouverture d’une frontière qui pour l’instant n’intéressait qu’Européens et Américains. Depuis un an, la Russie suit de très près cette affaire. Elle a poussé le président arménien, Serge Sarkissian à lancer, fin juin 2008, à partir de Moscou, l’invitation adressée à son homologue turc, Abdullah Gül, de venir assister au match de football Arménie-Turquie, à Erevan, le 6 septembre dernier. La rencontre a eu lieu : Abdullah Gül est resté six heures à Erevan.
La Turquie entretient d’excellentes relations économiques et énergétiques avec la Russie et l’Iran (récente visite du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad à Ankara). Ankara accentue sa diplomatie d’autonomisation à l’égard des Etats-Unis et marque sa différence avec ses alliés américains et israéliens dans la région. Elle prouve aussi que la paix régionale passe par chez elle : conflit israélo-palestinien, tension syro-israélienne, rapprochement avec l’Iran, rencontre Gül-Sarkissian à Erevan, une deuxième entrevue est prévue à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU fin septembre, proposition d’une plateforme pour la stabilité et la sécurité dans le Caucase du Sud. Sans oublier que débloquer la situation avec l’Arménie renforce le poids de la Turquie à Bruxelles dans le cadre des négociations d’intégration. Bref, le rapprochement entre la Turquie et l’Arménie d’un côté, puis les bonnes relations entre l’Arménie et l’Iran ou encore la Russie, l’Arménie et l’Iran de l’autre peuvent déboucher sur des projets communs via Erevan et Ankara. Les Russes ayant le monopole du parc énergétique arménien et étant le principal client d’Erevan, l’économie et la diplomatie de l’Arménie sont totalement dominées par la Russie. Autrement dit, l’Arménie consolide son statut de poste avancé de la Russie dans la région.

Si ces deux hypothèses venaient à se renforcer dans les mois ou années qui viennent, tous les acteurs locaux seraient gagnants sauf la Géorgie et les Etats-Unis, les grands perdants dans la guerre des Cinq jours. La Russie renforcerait de façon irréversible ses liens avec l’Iran dans le Caucase du Sud mais aussi avec la Turquie. L’Arménie deviendrait un territoire de transit sous contrôle russe. Idem pour la Turquie, nouvelle plaque tournante énergétique mondiale. D’où peut-être une réelle et concrète bonne raison de poursuivre le dialogue avec l’Arménie entamé le 6 septembre, sans mettre l’accent sur le passé (génocide) et la question du Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan serait également satisfaite de son rang de territoire de transit. Quant à l’Iran, elle verrait ses hydrocarbures gagner l’Europe et pourrait obtenir de la Russie le gel de nouvelles sanctions au Conseil de sécurité de l’ONU en rapport avec son programme nucléaire. L’Union européenne, justement, pourrait à terme bénéficier de la livraison de pétrole et gaz iraniens, manière de diversifier ses approvisionnements en hydrocarbures. Bruxelles pourrait également renforcer sa présence en Turquie en apportant sa contribution au déblocage des relations entre l’Arménie et la Turquie.

Reste la question du Haut-Karabakh… Pour l’instant, rien n’a changé. Place d’abord au renforcement des projets économiques et peu à peu, graduellement peut-être, la feuille de route de la paix entre Arméniens et Azéris pourrait s’appliquer.

vendredi 8 août 2008

Drôle de guerre en Ossétie du Sud…

Premier test pour le président russe Dimitri Medvedev… La guerre en Ossétie du Sud est le pire des scénarios que pouvaient vivre Ossètes, Géorgiens et Russes. S’agit-il d’une nouvelle guerre du Caucase du Sud ou prépare-t-elle le terrain à la paix ? L’enjeu ? L’entrée de la Géorgie dans l’OTAN et plus largement, le contrôle du Caucase du Sud, passage obligé des pipelines et du redressement ou non de la puissance russe…

Si tu veux la paix, prépare la guerre… Russes et Géorgiens ont respecté ce vieil adage inversé dans la guerre qui les oppose en Ossétie du Sud. Après l’échec géorgien au sommet de l’OTAN à Bucarest au printemps dernier, en vue de signer un Membership Plan Action (MPA), dernière étape avant de rejoindre l’OTAN, un nouveau rendez-vous avait été donné à Tbilissi et Kiev pour le signer en décembre 2008, malgré l’hostilité de la Russie opposée à l’élargissement de l’Alliance sur sa périphérie. Le compte à rebours entre Russes et Géorgiens était donc lancé… Tout faire pour signer un MPA, tel est l’objectif de la Géorgie et de l’Ukraine. Tout faire pour l’en empêcher, est la réponse de la Russie.

Monnaie d’échange

Dans ce rapport de force, plutôt favorable à la Russie, la Géorgie, invitée par les Européens à manifester sa bonne volonté et tenter d’apaiser la situation, cherche à se placer dans la position la moins inconfortable avant de s’asseoir à la table des négociations. Pour la Russie, c’est l’inverse : se placer dans la position la plus confortable pour entamer les prochains pourparlers. Réouvertures des lignes aériennes, terrestres et maritimes entre les deux pays, levée de l’embargo sur les vins géorgiens par la Russie, retour des deux ambassadeurs dans chaque pays respectif, négociations directes entre les deux présidents et déclarations conciliantes en faveur de la paix en Abkhazie et en Ossétie du Sud et affirmation en vue de normaliser les relations bilatérales, les conditions d’une reconciliation commençaient à se réunir. Tbilissi veut éviter la guerre pour signer son MPA. Moscou veut éviter le scénario de Pékin 2008 pour bien préparer les JO d’Hiver de Sotchi en 2014, aux pieds du Caucase et de l’Abkhazie. Tout devait donc être entrepris pour éviter la guerre…

Ces bonnes intentions entre les deux parties, surtout depuis leur convergence sur le refus de l’indépendance des zones rebelles du Caucase du Sud, pour justement éviter le précédent du Kosovo, comprend également son lot de provocations. Et à ce jeu, la Russie a utilisé Abkhazes et Ossètes pour déstabiliser les Géorgiens. Tbilissi, dont l’image s’est ternie depuis l’état d’urgence en novembre 2007 et les élections générales entachées d’irrégularités en 2008, a contre-attaqué les pouvoirs rebelles - et non Moscou - pour justifier son urgence de signer un MPA.

Devenus une monnaie d’échange dans ce jeu de rôle entre Russie et Géorgie, Abkhazes et Ossètes multiplient les déclarations radicales pour éviter tout compromis sur leur dos entre Moscou et Tbilissi. Edouard Kokoïty à Tskhinvali (Ossétie du Sud) et Sergeï Bagapch à Soukhoumi (Abkhazie) ont rejeté la moindre proposition de règlement émanant de Tbilissi, alors que Moscou était plutôt ouverte aux propositions du président géorgien, Mikheïl Saakachvili.

A ce jour, plusieurs points restent donc à éclaircir. La guerre en Ossétie du Sud constitue un premier test pour le président russe, Dimitri Medvedev, élu en mars 2008. Certaines sources considèrent que la crise ossète pourrait lui offrir l’occasion de tenir le bras militaire russe et d’imposer sa vision des choses après les 8 années de pouvoir de Vladimir Poutine. Après avoir perdu dans le choix du successeur de Poutine – Sergeï Ivanov, l’ancien ministre de la défense, était le candidat des généraux – les militaires ont subi un nouvel affront avec le limogeage du chef d’état-major et celui de plusieurs généraux. Vladimir Poutine – actuellement à Pékin pour la cérémonie des JO – va-t-il profiter de cette crise ossète pour s’éloigner du nouveau maître du Kremlin et lancer un processus de reprise du pouvoir dans la capitale ? Tbilissi pratique-t-elle la surenchère en escomptant une fissure dans l’exécutif russe ?

De son côté, la Géorgie a tout intérêt à écraser le plus rapidement possible la résistance ossète et prendre le maximum de territoires dans la province avant d’accepter l’idée d’un cessez-le-feu durable. Si dans les quelques jours, l’armée géorgienne ne parvient pas à maintenir son contrôle du chef lieu, les difficultés commenceront pour elle et le régime pro-américain à Tbilissi. Des volontaires russes, ossètes, tchétchènes et cosaques arrivent en renforts en Ossétie du Sud. Soutenues par l’armée russe, les forces ossètes – environ 3000 hommes bien armés – peuvent également compter sur la clause d’assistance mutuelle qui lie l’Ossétie du Sud à l’Abkhazie en cas d’agression d’un pays tiers.

Et c’est là que l’image de la drôle de guerre intervient une nouvelle fois : si les Abkhazes apportent leur soutien conformément à leur alliance avec les Ossètes, cela revient à affirmer que la Russie a donné son feu vert et n’accepte pas le fait accompli ou la tactique à la Krajina des Géorgiens dans l’enclave ossète. Si les Abkhazes restent en dehors du conflit ossète, on peut sans prendre de grands risques se dire que Moscou a refusé l’ouverture d’un deuxième front en Géorgie et donc légitimement affirmer que cette retenue orchestrée à Moscou accrédite l’idée d’un opération en Ossétie du Sud planifiée depuis quelques temps. Et si certains milieux russes pro-Medvedev avaient choisi de sacrifier l’Ossétie du Sud pour mieux soutenir l’Abkhazie ? Difficile d’y répondre, tant il est inimaginable de croire que l’armée russe, forte de 90 000 hommes dans le Caucase du Nord et d’un contingent de 1 500 soldats en Ossétie du Sud, n’a pas les moyens de s’informer de la moindre concentration de troupes militaires géorgiennes à ses portes… D’autant que les populations civiles ossètes sont devenues majoritairement des citoyens russes. La balle est dans le camp ossète. Si les résistants contiennent l’offensive des Géorgiens et réoccupent le terrain perdu, avec ou sans l’aide de la Russie, la guerre risque de s’enliser.

Y a-t-il un risque de contagion régionale ? Pas sûr. Car même si d’autres acteurs, comme l’Arménie et l’Azerbaïdjan, portent avec inquiétude leur regard sur Tskhinvali, aucun des deux n’a intérêt à relancer le conflit pour le contrôle du Haut-Karabakh, théâtre d’une guerre entre 1990 et 1994 remportée par Erevan et Stépanakert. Bakou, qui organise son élection présidentielle le 15 octobre prochain et qui devrait voir Ilham Aliev, le président actuel, se maintenir au pouvoir, a signé un partenariat stratégique avec Moscou lors de la première visite du président Medvedev en Azerbaïdjan. Erevan, occupé par le maintien de la paix dans la province du Haut-Karabakh et celui de la paix intérieure après l’élection controversée de Serge Sarkissian à la tête de l’Etat en février 2008, veut afficher sa bonne volonté dans le cadre des négociations sous l’égide du groupe de Minsk de l’OSCE. Le nouveau pouvoir a affirmé par la voix de son ministre des affaires étrangères que le processus de paix était constructif et qu’elle défendait l’idée d’un retrait des territoires azéris sous son contrôle. Le président arménien a également tendu la main à son homologue turc en l’appelant à tourner la page du passé. Il l’a invité à assister au match de football qui oppose les deux pays, le 6 septembre 2008, lors des éliminatoires de la coupe du monde 2010. Abdullah Gül n’a pas encore donné sa réponse. Il doit se rendre à Bakou la veille de la rencontre pour participer au sommet des pays turcophones. Rappelons que la Russie a encouragé l’Arménie à chercher à normaliser ses relations avec la Turquie, partenaire économique et énergétique de premier plan des Russes. Ce qui conforte l’idée d’une nouvelle donne, d’une nouvelle stratégie de pénétration de la Russie sur son glacis. Reste à savoir si Poutine et Medvedev ont la même lecture de la crise ossète et celles à venir…

vendredi 27 juin 2008

Un monde plus juste mais plus instable

Le magazine Foreign Policy vient de publier la liste des Etats échoués dans le monde. Surprenant ! Rangés en cinq catégories, des « pays les plus stables » aux « pays les plus critiques », le monde penche plutôt vers l’instabilité. Vraisemblablement…

Parmi les pays les plus critiques, figurent les pays du ventre et de la Corne de l’Afrique et du Sahel. L’Irak et le Liban. Le Pakistan et l’Afghanistan. La Birmanie et la Corée du Nord.

Parmi les pays en danger, nous trouvons l’Egypte, le Tadjikistan, la Syrie, le Népal, la Colombie, et le Yémen.

En bas de l’échelle des Etats échoués, c'est-à-dire les pays les plus stables, nous trouvons les Etats occidentaux, comme l’Australie, le Canada et les pays Scandinaves.

Puis, parmi les pays stables qui n’obtiennent pas cependant les meilleures notes, et ce qui est plus surprenant, nous trouvons les Etats-Unis, la majeure partie des pays de l’UE, dont la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre ou encore l’Italie, la Grèce. Mais aussi des Etats de l’Amérique latine, comme le Chili et l’Argentine.

Mais, là n’est pas le plus surprenant. Ce qui frappe le plus la carte du monde des Etats échoués, c’est que le globe traverse essentiellement une période critique. La couleur utilisée pour illustrer les pays en situation limite, c'est-à-dire ni stable ni en danger, couvre la majeure partie du globe : Russie, Chine, Asie centrale, Turquie, Iran, nord de l’Afrique, la majeure partie de l’Amérique latine, dont le Brésil et l’Amérique centrale, Mexique y compris.

Avec la fin du monde bipolaire, nous sommes passés d’un monde juste mais stable à un monde plus juste mais plus instable…

lundi 23 juin 2008

L’Abkhazie à Paris, Gazprom en Abkhazie

Le président de l’Abkhazie était à Paris vendredi 20 juin. Deux jours après, Gazprom, le géant russe, lance des projets de prospections pétrolières et gazières off-shore au large de la province séparatiste officiellement dépendante de la Géorgie. Nouveau regain de tensions à venir entre Tbilissi et Moscou.

Sergueï Bagapch, « président de l’Abkhazie » était de passage à Paris, la semaine dernière, à l’invitation du magazine Foreign Policy, version française. Pour la première fois depuis la sécession de cette province située en Géorgie sur les bords de la mer Noire, le « président » abkhaze a obtenu un visa d’entrée en France.

Accompagné du député russe Constantin Zatouline, le « président » abkhaze est venu défendre sa cause devant un public français comprenant Alexandre Adler, Philippe Moreau Defarges, François Nicoullaud, des chercheurs, des hommes d’affaires et des journalistes.

Rien d’autre que l’indépendance. Pas plus, pas moins. Ce sont les termes de Sergueï Bagapch lorsqu’il répond aux questions sur le déblocage du conflit qui l’oppose à la Géorgie. L’Abkhazie revendique son indépendance depuis la chute de l’URSS alors que Tbilissi cherche à conserver cette province maritime dans son espace national. Une guerre les a opposés de 1992 à 1994, remportée par les Abkhazes soutenus par l’armée russe. Une mission de l’ONU se trouve sur place et la paix est assurée par un cessez-le-feu garanti par une force de maintien de la paix majoritairement composée de forces russes.

Depuis 2006, les relations entre la Géorgie et la Russie se sont dégradées et l’Akbhazie sert souvent de théâtre de rivalités russo-géorgiennes : affaires d’espionnages, attaques, embuscades, opération-éclair, affrontements, destruction d’un drone, arrestations de soldats russes… En deux ans, la région vit au rythme de turbulences, en deçà d’une guerre traditionnelle mais au-delà d’une guerre des mots… La Géorgie, candidate à l’OTAN, devrait, si les conditions sont remplies, signer un Membership Plan Action (MPA) avec l’Alliance en décembre. Or, la Russie ne veut pas en entendre parler. La Russie qui cherche à rejoindre l’OMC voit sa candidature bloquée par la Géorgie. Tbilissi appelle Moscou à cesser tout soutien au « séparatisme abkhaze ».

Alors que Sergueï Bagapch se trouve à Paris pour louer le rôle « stabilisateur » de la Russie dans la région et sensibiliser les autorités françaises sur la question abkhaze à quelques semaines de la présidence française de l’Union européenne, au même moment Gazprom annonce qu’il va prospecter dans la province rebelle. Le géant russe a lancé plusieurs travaux off-shore à la recherche de pétrole et de gaz au large des cotes géorgiennes. Ce qui ne vas pas manquer d’irriter Tbilissi, qui va dénoncer la violation de ses eaux territoriales. D’où aussi une autre bonne raison pour la Géorgie de bloquer l’adhésion de la Russie à l’OMC.

Soukhoumi, chef lieu de l’Abkhazie a également annoncé l’ouverture d’une ligne aérienne avec Moscou. Cette démarche s’inscrit dans la continuité de la politique mise en place par les Russes depuis des mois, notamment après la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par les Occidentaux. Moscou avait annoncé en représailles qu’il ouvrait des bureaux de représentations russes en Abkhazie et en Ossétie du Sud, l’autre entité hostile à la domination géorgienne et proche des Russes.

Quoi qu’il en soit, la Géorgie a plus à perdre dans ce duel que la Russie. Si l’escalade se poursuit, il y a de fortes chances que Tbilissi et Kiev ne signent pas un MPA avec l’OTAN, les Occidentaux, à commencer par les Français et les Allemands préférant privilégier leurs relations avec Moscou et appelant Tbilissi à manifester sa bonne volonté afin d’apaiser les relations avec le grand voisin du nord.

mardi 10 juin 2008

Blackwater à Paris

Erik Prince et Cofer Black, deux hauts dirigeants de la société militaire privée américaine Blackwater, seront très prochainement à Paris, invités par l'IPSE (Institut de Prospective de Sécurité en Europe) et la société Secopex, une SMP française qui vient d'ailleurs d'annoncer qu'elle s'implantait en Somalie. On en reparlera un peu plus d'ici quelques jours.
http://www.youtube.com/watch?v=yJUEULWEP9c